LA RELIGION 5

Le mystère religieux nous éclaire sur notre propre condition :


Mais pour finir, n’y-a-t-il pas dans les religions quelque chose de plus haut, de plus élevé que la philosophie souvent prisonnière d’une rationalité excessive et qui ne peut et ne veut admettre ce qu’elle ne saurait comprendre ?
Les religions ne contiendraient-elles pas une sagesse spécifique, qui ne peut pas faire l’objet d’un examen rationnel ?

C’est la connaissance du :

c’est-à-dire de réalités dont la religion, ou le message divin, nous révèle la vérité, mais sans que nous puissions en donner une formulation ou une explication logiques :

 » Nous connaissons la vérité non seulement par la raison mais encore par le cœur. C’est de cette dernière sorte que nous connaissons les premiers principes et c’est en vain que le raisonnement, qui n’y a point de part essaie de les combattre.

Les pyrrhoniens, qui n’ont que cela pour objet, y travaillent inutilement. Nous savons que nous ne rêvons point. Quelque impuissance où nous soyons de le prouver par raison, cette impuissance ne conclut autre chose que la faiblesse de notre raison, mais non pas l’incertitude de toutes nos connaissances, comme ils le prétendent.

[Explication ]Car les connaissances des premiers principes : espace, temps, mouvement, nombres, sont aussi fermes qu’aucune de celles que nos raisonnements nous donnent et c’est sur ces connaissances de cœur et de l’instinct qu’il faut que la raison s’appuie et qu’elle y fonde son discours. Le cœur sent qu’il y trois dimensions dans l’espace et que les nombres sont infinis et la raison démontre ensuite qu’il n’y a point deux nombres carrés dont l’un soit double de l’autre. Les principes se sentent, les propositions se concluent et le tout avec certitude quoique par différentes voies – et il est aussi inutile et aussi ridicule que la raison demande au cœur des preuves de ses premiers principes pour vouloir y consentir, qu’il serait ridicule que le cœur demandât à la raison un sentiment de toutes les propositions qu’elle démontre pour vouloir les recevoir. »

PASCAL, Pensées, § 110 [édition Lafuma].

  • Connecteurs logiques importants
  • Champ lexical de la raison et du raisonnement (démonstration, déduction, preuve…)
  • Champ lexical du cœur
  • Champ lexical des principes ou vérités premières

EXPLICATION DU TEXTE :

(ATTENTION : ce texte peut aussi être utilisé pour la notion LA VÉRITÉ).

Pour PASCAL : il y a deux voies d’accès à la vérité, la raison et le cœur car on ne peut pas atteindre la vérité en utilisant seulement la raison.

La raison – faculté de juger et d’enchaîner les propositions et les raisonnements – n’est pas l’unique faculté que l’on doit solliciter pour atteindre la vérité. Ce qui ne veut pas dire que la raison ne joue aucun rôle dans la recherche de la vérité ; seulement, elle ne peut à elle seule connaître la vérité. Il faut qu’une autre faculté entre en jeu… Il faut qu’une autre faculté intervienne, à savoir le cœur :

Mais qu’est-ce que ce coeur ? En quel sens le cœur nous aide-t-il à connaître la vérité ? Quel rôle joue-t-il dans la recherche de la vérité ?

Le cœur nous permet de connaître la vérité selon PASCAL en nous donnant accès aux « premiers principes ». Au sens philosophique, « principe » désigne « ce qui vient en premier« , ce qui est à l’origine, du latin principium, qui signifie « commencement ».

Le « cœur » désigne ici non pas un organe vital, mais la capacité à saisir les premiers principes de manière intuitive, c’est-à-dire de manière immédiate, sans avoir recours à un raisonnement ou à une procédure déductive (une démonstration). En effet, les « premiers principes », les premières causes étant indémontrables, la raison – faculté procédant de manière déductive – ne peut prendre part à la connaissance de ces vérités :

Le problème de la régression à l’infini des causes.

C’est le cœur, l’intuition qui nous donne ainsi accès aux vérités premières, immédiates et indémontrables ; la raison, quant à elle, ne faisant que démontrer, prouvant l’accès aux vérités que l’on tire ou conclut de ses principes.

Pascal insiste ainsi sur la différence qui existe entre deux ordres de connaissance : l’ordre du cœur et l’ordre de la raison ce qu’il appelle l’ « esprit de géométrie » et l’ « esprit de finesse« . La raison ne peut pas se substituer au cœur ni le cœur à la raison : ce que le cœur connaît ne peut être connu par la raison et inversement…

Par conséquent, ce que la raison ne peut connaître, peut être connu avec certitude par une autre faculté : le cœur. La raison n’est pas la seule faculté capable d’accéder à la vérité :

Pas la raison, souvent prise en flagrant délit de Ridicule :

Extrait de Ridicule, de Patrice Leconte (1996)

Pascal ne dit pas que les vérités du cœur sont « plus fermes » que celles de la raison : la raison est en mesure d’accéder à des connaissances « aussi certaines » que celles du cœur. Il ne cherche pas à établir la supériorité du cœur sur la raison en montrant que le cœur parvient à des vérités « plus certaines » que celles de la raison. Non : Pascal évite la misologie (haine ou mépris de la raison) : il ne s’agit pas pour lui de louer le cœur afin de mieux mépriser la raison mais de montrer que raison et cœur peuvent accéder à des connaissances certaines, chacun dans leur domaine respectif. 

Il faut donc éviter de confondre les ordres de connaissance ; il faut tenir compte de la particularité de la raison et du cœur. La raison ne peut pas avoir un sentiment de ce qu’elle démontre et le cœur ne peut pas prouver ou démontrer ce qu’il sent et c’est là que nous en venons à la religion et c’est la suite de notre texte :

« La foi dit bien ce que les sens ne disent pas, mais non le contraire de ce qu’ils voient. Elle est au-dessus, et non pas contre.

Si on soumet tout à la raison, notre religion n’aura rien de mystérieux et de surnaturel. Si on choque les principes de la raison, notre religion sera absurde et ridicule. La dernière démarche de la raison est de reconnaître qu’il y a une infinité de choses qui la surpassent ; elle n’est que faible, si elle ne va jusqu’à connaître cela. Que si les choses naturelles la surpassent, que dira-t-on des surnaturelles ?

Deux excès : exclure la raison, n’admettre que la raison ».

Blaise Pascal, Pensées, (1670).

Aux vérités religieuses, la raison ne peut et ne saurait accéder ; en effet, seul le cœur ( ici symboliquement renvoyé et représenté par le sacré-coeur) c’est-à-dire la Confiance, la Foi permet d’accéder aux premiers principes. En matière de religion, la raison ne peut s’appuyer que sur les vérités « senties » par le cœur :

Mais alors quoi de plus éloquent pour illustrer ce mystère pour Pascal que celui du péché originel et de sa transmission à toute l’humanité :

En effet, selon la Bible, tous les humains à naître sont considérés comme coupables du péché d’Adam et Ève, alors même qu’ils n’existaient pas encore lorsque celui-ci a été commis. Cela pourrait paraître absurde et injuste, mais c’est néanmoins la révélation d’un mystère qui doit faire objet de foi.

Voici l’analyse du péché originel faite par BLAISE PASCAL :

« Chose étonnante, cependant, que le mystère le plus éloigné de notre connaissance, qui est celui de la transmission du péché, soit une chose sans laquelle nous ne pouvons avoir aucune connaissance de nous-mêmes !
Car il est sans doute qu’il n’y a rien qui choque plus notre raison que de dire que le péché du premier homme ait rendu coupables ceux qui, étant si éloignés de cette source, semblent incapables d’y participer. Cet écoulement ne nous paraît pas seulement impossible, il nous semble même très injuste : car qu’y a-t-il de plus contraire aux règles de notre misérable justice que de damner éternellement un enfant incapable de volonté pour un péché où il paraît avoir si peu de part qu’il est commis six mille ans avant qu’il fût en être ? Certainement, rien ne nous heurte plus rudement que cette doctrine, et cependant
sans ce mystère, le plus incompréhensible de tous, nous sommes incompréhensibles à nousmêmes. Le noeud de notre condition prend ses replis et ses tours dans cet abîme. De sorte que l’homme est plus inconcevable sans ce mystère que ce mystère n’est inconcevable à l’homme. »
Blaise Pascal, Pensées, « Contrariétés » (Lafuma 131).

Domenico Zampieri, dit Le Dominiquin, Dieu réprimandant Adam et Ève, 1626.

  • « […] le mystère le plus éloigné de notre connaissance, qui est celui de la transmission du péché, [est] une chose sans laquelle nous ne pouvons avoir aucune connaissance de nous-mêmes » : Pascal conserve en même temps deux aspects paradoxaux du récit du péché originel et de sa transmission : d’un côté, nous sommes incapables de le comprendre, et de l’autre, pourtant, nous en avons besoin pour développer une véritable connaissance de nous-mêmes. Il n’est pas question de minimiser
    ce paradoxe, car il est au centre de la sagesse religieuse telle que Pascal l’analyse.
  • « Cet écoulement ne nous paraît pas seulement impossible, il nous semble même très injuste » : l’ « écoulement » dont il est question est le fait que chaque être humain est pécheur, reconnu coupable du péché d’Adam et Ève ; or cela n’est pas seulement absurde, mais même injuste. Or, dans une perspective chrétienne, c’est presque formuler là un blasphème : comment Dieu aurait-il pu prononcer un châtiment injuste ? Dieu est nécessairement bon et juste. Donc, la vérité de ce récit se trouve ailleurs.
  • « L’homme est plus inconcevable sans ce mystère que ce mystère n’est inconcevable à l’homme » : le caractère incompréhensible du mystère de la transmission du péché doit être assumé et accepté, non pas parce qu’il faut se soumettre à l’autorité de l’Église, mais parce que c’est à travers ce mystère que nous comprenons le mystère qui nous constitue nous-mêmes, comme êtres humains.

Mystère : A la différence d’une énigme, un mystère n’admet pas de solution rationnelle. Du grec mystès, qui signifie « initié », le mystère renvoie à un enseignement gardé secret, dont on ne possède pas toutes les clefs, mais qui donnerait accès à une sagesse supérieure.

Michelangelo Merisi, dit Le Caravage, Le Sacrifice d’Isaac, vers 1603.

Dans le premier livre de la Bible (la Genèse), Dieu promet à Abraham une longue descendance. Mais Sarah, sa femme, est stérile. Elle tombe pourtant enceinte et accouche d’Isaac. Plus tard, Dieu demande à Abraham de sacrifier son fils unique. Ce commandement semble absurde : il contredit la promesse de la descendance. Cependant Abraham obéit : il immolerait Isaac, son propre fils, si un ange ne retenait son bras meurtrier.

Kierkegaard, dans Crainte et Tremblementdéduit de cette histoire qu’Abraham est le modèle de l’homme de foi car il croit en dépit de sa raison ou plutôt : il croit « en vertu de l’absurde ».

L’homme réellement religieux, c’est l’homme qui possède la foi. Mais comme l’explique Kierkegaard, la Foi est une sorte de saut dans l’irrationnel : “Credo quia absurdum” (“Je crois parce que c’est absurde”).

Lorsque l’on regarde de près tous ses dogmes et ses mystères, on
constate que la religion n’est pas simplement un moyen de
nous rassurer, ou de nous donner des repères pour interpréter
le monde à travers le prisme de notre culture mais que bien au contraire,
la religion est porteuse d’idées et d’enseignements qui mettent
en perspective notre existence dans le monde, pour en
révéler souvent toute l’absurdité, quitte à provoquer en nous un profond
sentiment d’angoisse
ou d’admiration :

LE CARAVAGE, L’incrédulité de St-Thomas

Ainsi la religion n’est pas une simple éthique, ou un ensemble de commandements
destinés à faciliter la vie sociale ; elle est un rapport à l’absolu, à l’indicible, à l’ineffable (ce qu’on ne peut pas dire), qui se trouve au-delà de nos idées courantes. Elle nous rappelle sans cesse que nous ne sommes que des êtres humains fragiles et limités.

Pour conclure, la religion se présente non plus comme l’expression d’une culture particulière, ou comme l’outil de conservation du lien social, (confusion courante entre une vision sociologique et une authentique philosophie) mais comme le véhicule d’une sagesse mystérieuse, révélatrice de vérités essentielles concernant notre nature, ou notre manière d’exister en ce monde. Et alors effectivement n’en déplaise à nos crétins fonctionnaires de la déséducation nationale, le message religieux n’est pas un message fait pour rassurer ou pour souder mais est au contraire porteur d’idées angoissantes, qui nous confrontent avec ce qui échappe à notre intellect : la souveraineté absolue et la transcendance de Dieu, la certitude et le caractère indicible de la mort, la petitesse et la vanité de notre existence terrestre. Mais :

Léon Bloy (1846-1917) est un romancier et essayiste français. Connu pour son roman Le Désespéré, il est aussi un polémiste célèbre.

Et d’ailleurs, point de vue athée : n’y aurait-il pas encore plus de mystère pour l’homme sans Dieu ?

Le fait de croire en une religion déterminée peut ouvrir à une grande diversité d’attitudes intellectuelles. Certes, la religion peut être un pur produit culturel, qui ne servirait qu’à consolider la structure d’une société au moyen de croyances plus ou moins fantaisistes. Un fanatique ou un intégriste, en ce sens, est une sorte de « soldat » de l’identité religieuse qu’il défend au moyen d’une série de certitudes sans fondement.

Mais la religion, par l’objet qu’elle se donne (un objet transcendant et universel : le divin, l’au-delà, la question de l’âme et de son destin), peut aussi faire naître dans notre esprit l’étincelle du doute, de l’étonnement proprement philosophique, soit pour reconnaître avec angoisse les limitations de notre propre existence, soit pour louer la puissance de l’humanité, soit enfin pour saisir l’espace à l’intérieur duquel il est raisonnable, pour nous, d’espérer malgré l’absence de certitude.

En un mot, la religion révèle ce que la culture peut apporter de véritablement humain à notre pensée.

Alors :

Islam, Main de Fatma.

A lire :

https://www.chakras-shop.com/spiritualite/main-de-fatma-significations-origines-histoire/

Garcin, photographe, Les bienfaits de l’ignorance.

Athée : celui qui croit en l’inexistence de Dieu.

Agnostique : celui qui doute de l’existence de Dieu, qui ne sait pas, ne se prononce pas sur son existence ou sa non-existence.

Hérétique qui est entaché d’hérésie, qui professe ou soutient une hérésie, c’est-à-dire une doctrine contraire à la foi, condamnée par l’Eglise catholique (qui s’oppose donc directement à la vérité proposée par l’Église catholique comme révélée par Dieu). Par extension, toute doctrine aberrante au sein d’une religion quelconque.

Infidèle celui qui n’a pas la foi

Impie celui qui n’a pas de religion (qui n’a pas la piété)

Mécréant celui qui ne croit pas = infidèle, impie, incroyant, incrédule

Profane (du latin profanus, m. s., de pro, devant, et fanum, temple) : celui qui n’était pas initié aux mystères, et qui, par conséquent, ne pouvait entrer dans l’enceinte sacrée ; celui qui est étranger aux choses de la religion ; par extension, ce qui est contraire à la religion établie ≠ sacré

Spiritualité : Caractère de ce qui est spirituel, indépendant de la matière; croyances et pratiques qui concernent la vie de l’âme, la vie spirituelle.

Ex de sujets de dissertation au bac :

  • À quoi tient la force des religions ?  
  • L’homme est-il par nature un être religieux ?  
  • L’humanité peut-elle se concevoir sans religion ? 
  • La religion est-elle essentielle à l’homme ? 
  • La religion peut-elle n’être qu’une affaire privée ? 
  • La religion unit-elle ou sépare-t-elle les hommes ? 
  • La science peut-elle faire disparaître la religion ? 
  • Les religions empêchent-elles les hommes de s’entendre ? 
  • Peut-on expliquer la croyance religieuse sans la détruire ? 
  • Est-il déraisonnable de croire en Dieu ? 
  • La religion peut-elle se définir par sa fonction sociale ?

« Dieu ? Impensable… Nous ne connaissons vraiment Dieu que lorsque nous croyons qu’il dépasse par son être tout ce qu’il est possible à l’homme de penser de lui. Par la révélation divine, qui nous propose un audelà de la raison, s’affermit en nous la conviction que Dieu est audessus de tout ce qui peut être pensé. L’utilité de cette révélation se manifeste encore en ceci qu’elle réprime une présomption naturelle, mère (et maîtresse) d’erreur. Certains en effet ont une telle confiance en leur esprit, qu’ils croient pouvoir imposer à la nature divine la mesure de leur intellect. Ils estiment que la totalité du vrai tient dans leur opinion, et que le faux se réduit à ce qui ne leur paraît pas vraisemblable. La révélation nous libère de cette présomption, elle ramène à ses proportions (humaines) notre modeste recherche de la vérité, (en nous rappelant) tout ce qui excède la capacité de la raison. Enfin, contre ceux qui voudraient limiter les mortels que nous sommes à l’horizon des choses humaines, il faut redire le mot du Philosophe : autant que possible l’homme doit s’élever aux réalités divines et immortelles. […] Une connaissance, si imparfaite soitelle, quand elle porte sur ce qu’il y a de plus noble, procure à l’âme sa plus haute perfection. C’est pourquoi, bien que la raison ne puisse saisir adéquatement ce qui la transcende, il est bon pour elle d’en recevoir, par la foi, une certaine connaissance. »

Thomas d’Aquin, Somme contre les Gentils (1255-1264), I, 5, trad. M. D. Chenu, Seuil, 1959.

Saint Thomas d’Aquin surnommé aussi le Docteur Angélique (1225-1274)