LA LIBERTÉ 3

La liberté, est-ce vraiment faire ce que l’on veut ?  Ma liberté n’est-elle qu’une  illusion ?  Quelle est l’origine réelle de mes choix ? Ne peut-il y avoir des causes que j’ignore et qui me font agir…à mon insu ?

Georges Feydeau (1862-1921) est un auteur dramatique français de comédies.

Déterminisme : Principe selon lequel tout effet a une cause, les mêmes causes produisent les
mêmes effets et il n’y a pas d’effets sans causes
, pas de causes sans effets.

Mais si je suis déterminée, comment expliquer cette impression de totale liberté que j’éprouve parfois et qui me donne le sentiment de pouvoir agir librement ? 

C’est tout simplement parce que j’ignore les déterminations dont je suis l’objet à savoir les véritables causes (souvent cachées) qui me font agir. Pour les déterministes, le libre arbitre n’est qu’une illusion, mon impression de liberté n’est que le résultat de l’ignorance dans laquelle je suis des causes qui me font agir. Or, comme l’affirme Spinoza (1632 1677) :

L’homme n’échappe pas aux lois de l’univers.

Il n’est d’ailleurs souvent qu’une marionnette :

Icare n’a pas tenu compte des conseils de son père mais surtout des lois physiques de la nature : Il a « oublié » la gravité … et il est tombé !


Pour illustrer cette idée dans sa Lettre 58 à Schuller, Spinoza a pris l’exemple d’une pierre :

  • Prenons une pierre qui roule entraînée par une impulsion extérieure et supposons que cette pierre soit dotée d’une conscience comparable à la notre. En réfléchissant sur son acte présent, la pierre pourrait très bien croire qu’elle tombe librement n’ayant pas conscience de la cause qui est à l’origine de l’impulsion extérieure qui a entraîné sa chute.
  • Notre condition est un peu comparable à celle de cette pierre, parce que nous savons ce que nous faisons sans connaître les véritables causes pour lesquelles nous le faisons, nous nous croyons libres.
  • Ainsi l’expérience que nous avons de notre liberté est illusoire, elle n’est que la conséquence de notre ignorance. Le libre arbitre ne serait que l’objet d’une croyance superficielle résultant d’une réflexion insuffisante sur nous-mêmes.

Ainsi, nous nous croyons libre, mais en réalité nous ne le sommes pas, puisque nous sommes guidées par des causes dont nous ignorons l’existence. Nous nous croyons libres parce que nous ne voyons comme limite à notre liberté que les contraintes externes, extérieures, politiques (les lois de l’Etat) en oubliant toutes les déterminations internes qui nous guident malgré nous. Nous oublions que :

Nous buvons en nous croyant libres de boire alors que nous sommes très souvent que malades d’amour :

Trois en plus de Spinoza ? Facile à retenir !

a) Le démon de Laplace (déterminisme physique):

Pierre-Simon de Laplace (1749-1827)

Né à Paris, Laplace est un mathématicien, astronome et physicien français. L’idée principale de Laplace est que, si le futur nous paraît incertain (nous ne savons pas ce qui se passera demain), c‘est en raison de notre manque de connaissance scientifique, de notre ignorance. Laplace est déterministe et suppose que tout en théorie est explicable et par conséquent prévisible. Il pense que toutes les modifications  de l’univers se produisent conformément aux lois de la nature. Ainsi peut-on prévoir avec certitude la date et l’heure du passage d’une comète ou d’un astéroïde dans l’espace :   

« Nous devons donc envisager l’état présent de l’univers comme l’effet de son état antérieur et comme la cause de celui qui va suivre.  Une intelligence qui pour un instant donné connaîtrait toutes les forces dont la nature est animée et la situation respective des êtres qui la composent, (…) rien ne serait incertain pour elle, et l’avenir, comme le passé, seraient présents à ses yeux ».

Laplace, Essai philosophique sur les probabilités, Œuvres (1886).

Ce déterminisme scientifique absolu capable en théorie de tout prévoir et de tout expliquer, on l’appelle aussi le « démon de Laplace » car devant une question posée par Napoléon lors d’une démonstration de prévision du passage de la comète Halley, l’astronome aurait répondu :

On serait ainsi toujours déterminé par sa classe sociale, sa famille, le pays d’où l’on vient. Vivre dans un bidonville, un squatt en Nouvelle-Calédonie ou dans un HLM de banlieue, ce n’est pas pareil que vivre dans un appartement de luxe dans le quartier de Magenta à Nouméa avec vue sur mer et piscine à débordement !

Nouméa : squatt dans la ville.

Sao Paulo au Brésil : quartier pauvre jouxtant quartier riche !

La vie est un long fleuve tranquille, film d’Etienne Chatiliez (1988).

SYNOPSIS
Dans une petite ville du nord de la France, deux familles nombreuses, les Le Quesnoy et les Groseille, d’origines bien différentes, n’auraient jamais du se rencontrer. Mais c’était sans compter sur Josette, l’infirmière devouée du docteur Mavial, amoureuse et lasse d’attendre qu’il quitte sa femme. Dans un moment d’égarement la douce infirmière a échangé deux nouveau-nés, un Groseille (les pauvres) contre un Le Quesnoy (les riches), pour se venger de la vie et du docteur. Comprenant que Mavial ne l’épousera jamais, elle révèle le-pot-aux roses aux deux familles…

Quand le naturel revient toujours au galop !

Les Tuche, film d’Olivier Baroux (2010).

c) Freud et le déterminisme psychique :

Médecin neurologue juif autrichien, pionnier de la psychanalyse, il a presque « inventé » le concept d’inconscient, en tout cas l’a théorisé à fond et  lui a donné une place essentielle dans l’explication du fonctionnement psychique. Mais alors si j’ai un inconscient :

Inconscient et liberté sont-ils compatibles ?

Si j’ignore une partie de ce qui me fait agir, comment puis-je être responsable et demeurer libre ?

Pour la psychanalyse, il existe un inconscient qui influence, à notre insu, nos pensées conscientes et nos actes. Le « moi » ne peut alors se comprendre lui-même et selon l’expression de Freud :

L’idée d’inconscient exclut ainsi l’idée de libre-arbitre c’est-à-dire l’idée d’une conscience totalement indéterminée, complètement maîtresse de ses choix :

Cependant, devons-nous nous résigner au déterminisme ? Devons-nous admettre que nous ne sommes que des automates remontés sans cesse par les circonstances, selon les lois de la nature sur lesquelles nous n’avons aucune prise ?

Ainsi, par exemple, le caractère inconscient de certaines pulsions (déterminisme psychologique) qui font agir le sujet invite à réfléchir autrement au problème de la liberté. Et c’est tout le but de la psychanalyse ou de la psychologie qui visent bien à libérer le malade de ses affections ou des événements de son histoire passée.  Rien n’empêche en effet l’individu (alcoolique, fumeur) de reprendre le contrôle de lui-même, de découvrir ce qui le faisait agir à son insu et de décider ensuite librement de ce qu’il fera de ces désirs qui étaient enfouis et que soudain il découvre.

Les hommes ignorent les causes qui les déterminent à désirer et à agir et ils ne seront réellement libres qu’en comprenant les déterminismes qui les font agir. Et le rôle de la philosophie n’est-il pas justement de surmonter, par la connaissance rationnelle, ses déterminations, comprendre ainsi ses tendances et ses pulsions afin de les assumer pleinement, de se responsabiliser en conscience, de se dissuader évidemment de commettre des crimes et des délits.


Alors le principe du déterminisme est-il à ce point si puissant qu’il supprime toute responsabilité du sujet par rapport aux actes qu’il commet ? Qu’en est-il alors de la responsabilité morale ? Serait-ce comme le libre arbitre une pure illusion ? Suis-je condamné à me laisser faire et à ne faire que subir les événements ?